Bodhicharyavatara

Bodhicharyavatara est un texte du philosophe indien Shantideva, décrivant l'engagement et la pratique d'un Bodhisattva, c'est-à-dire la vie et les œuvres d'un aspirant à l'Éveil.



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Texte du bouddhisme tibétain - Texte bouddhique - Bouddhisme - Littérature indienne en langue sanskrite

Bodhicharyavatara est un texte du philosophe indien Shantideva, décrivant l'engagement et la pratique d'un Bodhisattva, c'est-à-dire la vie et les œuvres d'un aspirant à l'Éveil. Il en existerait au moins une centaine de commentaires.

Titre

Ce titre a une poésie se prêtant à plusieurs niveaux d'interprétations, dont le registre couvre de descendre, entreprendre, s'introduire (avatara) sur le chemin, la démarche. la conduite (carya) de/vers l'Éveil. D'où les nombreuses traductions dans l'ensemble des langues, de La marche à l'Éveil jusqu'à Introduction à la conduite d'un Bodhisattva. En effet ce problème secondaire, somme toute, vient se compliquer du second titre plus tardif de Bodhisattvacaryavatara, vers 1000.

Plan de l'œuvre

L'œuvre a lieu en dix chapitres. Les quatre premiers chapitres (Bienfaits de l'esprit d'Éveil, Dévoilement des fautes, Prise de l'esprit d'Éveil, Attention) sont consacrés à la bodhicitta, l'esprit d'Éveil. Le premier chapitre expose l'esprit d'Éveil, le deuxième dévoile les manquements dus à l'ignorance de cet esprit d'Éveil, le troisième encourage vivement à sa mise en application alors que le quatrième exhorte à le maintenir dans l'ensemble des circonstances ainsi qu'à ne pas retomber dans la confusions et les passions habituelles.

Les six autres chapitres exposent les six perfections d'un bodhisattva mais d'un ordre un peu différent de l'ordre habituel. Ainsi la générosité est exposée en dernier dans le dixième chapitre sous une forme particulièrement spécifique. Shantideva n'y parle pas de la générosité matérielle, de la générosité en temps et en énergie qui nous pousse à venir en aide à ceux qui souffrent ou qui sont dans la détresse, ni la générosité des sentiments. Mais il nous parle de la générosité qui consiste à dédier et donner en pensée aux autres les mérites karmiques pour nos bonnes actions. Le cinquième chapitre parle développe la perfection de discipline, le sixième la perfection de patience, le septième la perfection de persévérance, le huitième la perfection de concentration et le neuvième la perfection de sagesse.

L'œuvre du Bodhicharyavatara est remplie de métaphores poétiques dans un style spécifiquement clair et efficace, à l'exception du neuvième chapitre bien plus ardu et technique qui porte sur la sagesse percevant la vacuité d'existence ultime de l'ensemble des phénomènes. Cette clarté et cette beauté formelle a beaucoup contribué à son succès, en particulier au Tibet où cette œuvre a été le livre de chevet de très nombreux lamas et pratiquants spirituels depuis l'arrivée du bouddhisme dans cette contrée il y a plus de mille ans désormais.

Regardons désormais d'un peu plus près chaque chapitre.

Les bienfaits de l'esprit d'Éveil

Shantideva y expose l'axe central et le moteur de la marche vers la bouddhéité, à savoir : l'esprit d'Éveil ou bodhicitta en sanskrit. Shantideva définit cet esprit d'Éveil comme "le désir d'apaiser les souffrances illimitées de l'ensemble des êtres et de les doter d'illimitées qualités" (§22). Cet esprit d'Éveil doit par conséquent naître dans la conscience du chercheur spirituel, croître et prendre de l'ampleur en elle de manière à transformer sa vie, la vie des autres et le monde au point où "la masse infini des êtres atteindra sans peine la suprême félicité" (§ 7). Dans cette optique, Shantideva distingue deux aspects de la bodhicitta (§ 15 & 16)  :

L'esprit d'aspiration est comme le souhait qu'on peut avoir de partir en voyage. A titre d'exemple, on rêve de partir en Inde, on lit des guides de voyages, on se documente sur le pays, on imagine comment ce sera là-bas. Mais on n'est pas encore parti. L'esprit d'engagement est identique au fait de faire les démarches nécessaires et prendre véritablement le départ. Il faut par conséquent commencer toujours par aspirer au bien des êtres, de développer au plus profond de sa pensée cette aspiration bienveillante. Et lorsque on s'est vraiment imprégné de cet esprit d'Éveil d'aspiration, on commence à s'engager dans la bodhicitta en transformant ces faits et gestes, en agissant de toutes sortes de façon pour le bien de l'ensemble des êtres sensibles. C'est l'esprit d'Éveil d'engagement.

Cet esprit d'Éveil occupe une place principale dans la pensée de Shantideva. Shantideva voit l'existence comme une nuit des temps, obscure et embrumée dans laquelle aucune lumière ne vient à percer jusqu'au moment où un Bouddha se manifeste pareillement à un éclair mais aussi le disent ces vers souvent cités :

                « Comme un éclair déchire la nuit
                  Obscure et embrumée l'espace d'un soudain instant, 
                  Ainsi par le pouvoir du Bouddha, apparaît chez les hommes
                  Une rare et brève pensée bienveillante »(§5, I)

Alors revient aux hommes la responsabilité d'entretenir dans la durée cette lumière manifestée par le Boudddha sous peine de voir passer cet instant tout à coup d'Éveil et disparaître à nouveau dans l'oubli et les ténèbres. Et l'esprit d'Éveil est le moyen par excellence d'entretenir cet lumière.

                « Ceux qui veulent détruire les milliers maux de l'existence,
                  Ceux qui veulent écarter l'insatisfaction chez les êtres
                  Et ceux qui veulent jouir de multiples joies,
                  Ceux-là ne doivent jamais abandonner l'esprit d'Éveil »(§8, I)

Le dévoilement des fautes

Ce chapitre comprend deux parties : une offrande en esprit aux Bouddhas ainsi qu'aux grands Bodhisattvas mais aussi l'exposition de la prise de conscience des fautes commises sous l'emprise de l'ignorance. L'unique remède à ses errances est la prise de refuge et la confession des erreurs aux Protecteurs.

L'offrande mentale se forme des plus belles choses, des plus vastes et des plus précieuses qu'on puisse imaginer dans sa pensée. A titre d'exemple, citons ces vers :


                « J'offre toutes les fleurs et les fruits, 
                  Toutes les formes de remèdes, 
                  Tous les joyaux de l'univers 
                  Et toutes les eaux pures et délicieuses; 

                  Les montagnes faites de pierres précieuses, 
                  Et de même, les bois, les solitudes plaisantes, 
                  Les arbres célestes aux parures de fleurs 
                  Et les arbres dont les branches ploient sous le poids des fruits, 

                  (...) Les lacs et les bassins ornés de lotus 
                  Et agrémentés du chant des cygnes; 
                  Toutes les choses qui n'appartiennent à personne 
                  Dans les limites des sphères de l'espace immense. » (§2,3 & 5, chap.II)


Et aussi :

                « A ceux dont la nature est compassion,
                  J'offre des palais retentissants d'hymnes mélodieux,
                  Etincelants de festons de perles, 
                  Parures de l'espace infinie » (§18, II)


L'objectif de cet exercice spirituel est de ne plus orienter ses souhaits et ses espérances sur soi-même, légèrement comme lorsque on rêve de l'ensemble des choses magnifiques, maisons, voitures de luxe, voyages dont on pourra faire l'acquisition s quand on tirera le numéro gagnant à la loterie nationale. Au contraire, on oriente ses vœux et ses espérances vers le Dharma du Bouddha, par conséquent vers le bien de l'ensemble des êtres sensibles dans l'univers.


La seconde partie est par conséquent le dévoilement des fautes et débute par la prise de refuge dans les trois joyaux : Bouddha, Dharma et Sangha (ici plus exactement la communauté des Fils des Vainqueurs, c'est-à-dire des bodhisattvas). Shantideva invite ici à prendre conscience de l'ensemble des fautes qu'on a commises dans cette vie-ci, mais celles perpétrées dans les vies antérieures. S'ensuit une méditation sur le temps qui passe et la mort qui se profile obligatoirement au bout de chaque vie.

                « Le seigneur de la mort indigne de confiance, 
                Ne s'attarde pas à ce qui est fait ou reste à faire. 
                Car la vie est instable; 
                Et malades ou bien portants, il frappe par surprise. » (§ 33, II)

Or cette méditation de la mort rend nos actes mauvais accomplis en vue de buts temporaires totalement absurdes. On fait le mal pour obtenir quelques gains misérables qui se dilapideront et qui disparaîtront de toutes façons au moment de la mort. Et cette mort est inévitable, elle se rapproche de nous inexorablement.

                « Laissant tout, je devrais partir seul. 
                Mais n'ayant pas compris cela, 
                J'ai commis maintes erreurs 
                A cause d'amis ou d'ennemis. 

                Mes ennemis ne seront plus, 
                Mes amis ne seront plus, 
                Moi-même ne serai plus; 
                Et pareillement, rien ne sera plus. » (§ 34 & 35, II)

Les gains s'évanouissent, mais les conséquences karmiques de nos fautes, elles, nous accompagnent à travers la mort. Face à cette peur, il est urgent de prendre conscience de toutes ces fautes, de s'en repentir et de prendre la ferme résolution de changer en bien et d'accomplir des actes méritoires qui apportent les bienfaits au monde.

La prise de l'esprit d'Éveil

Dans le chapitre précédent, Shantideva parlait de la peur, de la tristesse et du sentiment de désolation que l'être juste éprouve face à ses fautes passées. Dans ce troisième chapitre au contraire, Shantideva exprime la joie et l'allégresse qu'on ressent en contemplant les bienfaits incommensurables de l'esprit d'Éveil. Généralement, ce chapitre décrit et encourage l'esprit de don de soi et d'abnégation totale qui est celui d'un aspirant à l'éveil. Or ce don de soi est porté par l'élan et la joie d'apporter le bonheur au monde.

                « Je prends plaisir et me réjouis 
                  De l'océan des vertus de l'esprit d'Éveil, 
                  Qui aspire au bonheur de tous les êtres
                  Et d'activité dispensatrice de bienfaits. » (§ 4, III)

De cette joie profonde devant la contemplation de l'océan de vertus de l'esprit d'Éveil naître souhait de venir en aide aux autres par l'ensemble des moyens envisageables et imaginables et sous toutes sortes de formes aussi. Quelque soit la situation, Shantideva en nomme à trouver le moyen correct, le "moyen habile", de venir en aide à son prochain, comme l'expriment ces vers célèbres du 3e chapitre :

                « Puisse-je être 
                  Pour les malades
                  Le remède, le médecin et l'infirmier, 
                  Jusqu'à la disparition des maladies!

                  Puissè-je calmer par des pluies de nourritures et de breuvages
                  Les douleurs de la faim et de la soif, 
                  Et pendant l'âge des famines,
                  Puissè-je moi-même devenir nourriture et breuvage! 

                  Puissè-je être un inépuisable trésor
                  Pour le pauvre et le démuni;
                  Puissè-je devenir tout ce dont ils ont besoin, 
                  Et puissent toutes ces choses être à leur disposition! » (§ 8 à 10, III)

Il y a principalement l'envie d'être utile à autrui, être là pour soulager ses peines, l'aider dans son parcours de vie, le soutenir dans les moments complexes et le guider pour le sortir des ténèbres. Pour Shantideva, il faut se poser la question de comment on peut être utile aux autres et il faut aspirer avec joie à se rendre utile en toutes occasions. Même si ce n'est pas forcément envisageable, au moins peut-on entretenir cette aspiration de l'esprit d'Éveil à venir apporter du bien-être et du réconfort autour de soi et partout dans l'univers. Ainsi ces deux autres strophes célèbres :

                « Puissè-je être le protecteur des abandonnés, 
                Le guide de ceux qui cheminent, 
                La barque, le navire et le pont
                Pour ceux qui désirent traverser les eaux !

                Puissè-je être un île pour ceux qui recherchent une île,
                Une lampe pour ceux qui en désirent une,
                Une couche pour ceux qui veulent prendre du repos, 
                Et le serviteur des êtres souhaitant un serviteur !  » (§ 18 & 19, III)

Servir autrui et se mettre constamment en position de servir est la devise de Shantideva et son souhait le plus récurrent qu'il cherche à décliner par l'ensemble des moyens et sous l'ensemble des conjonctures qui se présentent. Cette volonté d'être utile et d'aspirer au bien se manifeste même à l'égard de ceux qui nous font du mal :


                « Que ceux qui m'insultent, 
                Me nuisent 
                Ou me raillent
                Aient tous la fortune d'accéder à l'Éveil. » (§ 17, III)

Pour Shantideva, il est vain de voir ternir sa joie profonde et sacrée, la joie illimitée de l'Éveil par le ressentiment et la rancune à l'encontre de ceux qui nous accablent. Il est bien plus agréable de les englober dans notre amour et notre compassion, que la joie de la libération des souffrances immerge ces sentiments malveillants. C'est tandis que la force de vie peut l'emporter sur les passions néfastes et destructrices :


                « Et jusqu'à ce qu'ils passent dans le nirvâna,
                Puissè-je de toutes les manières être une source de vie
                Pour l'ensemble du monde des êtres
                Qui atteignent aux confins de l'espace ! » (§ 4, III)

L'attention

Une fois cette joie et cet enthousiasme ayant lancé la dynamique de l'Éveil, il est de toute importance de ne pas voir cette dynamique se dissiper dans l'oubli et la confusion. Il faut toujours maintenir résolument l'engagement de développer en toutes circonstances l'esprit d'Éveil. Il serait trop bête de revenir de retomber les habitudes néfastes et toujours les mêmes fautes morales. Dans le quatrième chapitre, Shantideva enjoint par conséquent le pratiquant sur le chemin de l'Éveil à ne pas à ne pas perdre son application.

Ce quatrième chapitre décrit aussi le tourment causé par les passions néfastes, «unique cause de l'augmentation des maux» (§ 34, IV). L'unique combat pertinent et légitime consiste alors à vaincre et détruire ses passions mortelles pour pouvoir vivre une vie heureuse et sans crainte. Pour Shantideva, il y a d'autre part quelque chose de tragique à perdre de vue la bodhicitta, l'esprit d'Éveil pour retomber dans ces passions néfastes, ce qu'on perd de vue d'un seul coup le bien-être de l'ensemble des êtres sensibles. En effet, l'esprit d'Éveil consiste dans le souhait profond d'apporter le bonheur et délivrer de l'ensemble des souffrances l'ensemble des êtres de l'univers. Perdre de vue cette aspiration revient à porter préjudice à la totalité de tous ces êtres!

                « Car si moi-même suis diminué
                  En détruisant le bonheur d'un seul être
                  Que dire, lorsqu'est détruit le bonheur
                  Des créatures comprises dans l'infini de l'espace ? »(§ 10, IV)

Pour ne pas s'égarer dans une errance sans fin dans la ronde du samsâra, Shantideva encourage le pratiquant à ne pas perdre l'esprit d'Éveil si essentiel ainsi qu'à mettre un terme à ce jeu de dupe où s'enchaînent perte et redécouverte de l'esprit d'Éveil. Cette pratique en dent de scie nous fera tourner toujours et toujours dans le samsâra et nous écartera pour longtemps des terres des bodhisattvas. Des fautes morales commises dans nos moments d'intermittence de la vertu risque de nous empêcher de retrouver dans notre prochaine vie la précieuse existence humaine. Et sans le support d'un corps humain, il est presque impossible de cheminer vers l'Éveil.

Donc nous avons la liberté inprobablement précieuse d'être né humain (ce qui est un privilège particulièrement rare dans notre univers) et en plus nous avons été mis au contact de cette liberté principale qu'est l'esprit d'Éveil. S'en détourner désormais tandis que nous sommes en connaissance de cause serait quelque chose de spécifiquement pitoyable.

                « Il n'y a pire duperie,
                  Il n'y a pire folie
                  Que de ne pas cultiver le bien
                  Après avoir acquis une telle liberté. »(§ 23, IV)

Si au moins on était dans l'ignorance du Dharma ou dans l'incapacité de le comprendre comme un chat ou une panthère, on pourrait comprendre la conduite insensée à l'encontre de la vertu et du bien des êtres. Mais celui qui sait lui et néenmoins se perd totalement dans les passions destructrices et l'appât du gain, ce dernier s'expose frontalement à des remords et des regrets amers lorsque le temps aura passé et qu'il verra la vanité et l'inefficacité totale de ses mauvaises actions.

Les passions destructrices ou émotions perturbatrices (skt. klesha) sont nos véritables ennemis parce qu'elles nous jettent dans le guet-apens des fautes morales et des renaissances malheureuses. Il est par conséquent de première importance de garder une attention soutenue face à cet ennemi sournois et de le connaître intimement pour ne pas laisser se faire déborder par lui. Mais il y a un paradoxe :

                « Les ennemis telles l'aversion et la soif 
                  N'ont ni jambes, ni bras
                  Et ne sont ni braves, ni intelligents.
                  Comment ont-ils pu faire de moi leur esclave ?

                  Tandis qu'ils habitent mon esprit, 
                  A leur guise, ils me frappent.
                  Sans m'irriter envers eux, je suis patient.
                  Pourtant, ce ne sont pas des objets de patience, mais de blâme !»(§ 28 & 29, IV)

Les passions n'ont ni la force physique pour nous contraindre, ni une intelligence rusée pour nous tromper; mais néenmoins elles ont la puissance de nous conduire dans des destinées malheureuses comme les enfers. En réalité, nous avons une patience invraisemblable envers elles : nous accueillons volontiers la colère, l'orgueil ou l'envie, tandis que ces passions nous causent du tort de manière subtile ou évidente. Shantideva nous invite par conséquent à trancher avec cette grande tolérance envers les passions destructrices. C'est envers les êtres qui nous font du mal qu'il faut être patient, pas envers les passions qui envahissent notre esprit! Ces passions, il faut les combattre! il faut éviter d'avoir de la colère contre les gens, les accueillir avec patience, mais on peut chasser sans ménagement et avec impatience cette colère de notre conscience!

                « Passions, passions !  Où irez-vous une fois écartées de mon esprit,
                  Anéanties par l'oeil de la sagesse ?
                  Où demeurerez-vous afin de me nuire?
                  Mais, faible d'esprit, j'en suis arrivé à ne plus faire d'effort. 

                  Les perturbations n'habitent pas les objets, ni les sens, ni l'intervalle, ni 
                                                            ailleurs. 
                  Où vivent-elles pour tourmenter le monde entier ?
                  Elles s'apparentent à des illusions; donc que mon cœur abandonne toute crainte  
                                                             et s'applique à la sagesse, 
                  Car pourquoi, sans raison, devrais-je souffrir dans les enfers ?»(§ 46 & 47, IV)

S'appliquer constamment à l'esprit d'Éveil sert à cultiver "l'œil de la sagesse" qui dissipera l'illusion des passions. Voilà pourquoi il est si important d'y accorder son attention toujours et toujours. Il n'y a pas de raison de se faire souffrir inutilement en perpétuant le pouvoir des passions destructrices.

Les chapitres 5 à 10 sont consacrés à la discipline morale et décrivent les six perfections dans l'ordre suivant :

La garde de la vigilance

                « La garde de la vigilance
                  Se définit en bref comme 
                  L'examen répété
                  De l'état physique et mental » (ch.5;108)

Ce chapitre traite par conséquent de la perfection de discipline (ou verte transcendante de discipline, en sanskrit : shila paramita). Et il est remarquable de noter qu'au lieu de définir la perfection de discipline par les prescriptions et les règles d'une bonne conduite bouddhiste, Shantideva définit celle-ci par la garde de la vigilance, c'est-à-dire "l'examen répété de l'état physique et mental". Pour lui, cette vigilance est la clef de voûte de la discipline. Si on ne garde pas l'esprit, ce dernier peut devenir incontrôlable et destructeur :

                « Aucun éléphant ivre et indompté
                  Ne pourrait faire autant de mal 
                  Que notre esprit qui, livré à lui-même,
                  Nous inflige les maux des Enfers Insurpassables »(§2, V)


Il est essentiel de dompter son esprit pour dompter ses démons, ses peurs et ses tentations. Tous ceux-ci sont des créations de l'esprit; et par conséquent, dans l'univers, rien n'est à craindre que l'esprit incontrôlé et cédant aux passions furieuses et destructrices. Car c'est l'esprit qui travaille et construit notre réalité heureuse ou malheureuse.


                « C'est ainsi que Celui-qui-dit-vrai
                  A montré que les peurs 
                  Et les insondables souffrances
                  Émanent toutes de l'esprit »(§6, V)

Veiller à l'esprit, c'est par conséquent lui permettre de se développer harmonieusement et par conséquent de contribuer activement à l'harmonie du monde. C'est par conséquent le point-clef de la discipline pour Shantideva; et cette garde de la vigilance prévaut beaucoup sur les autres préceptes : " A quoi bon trop d'austérités? La garde de mon esprit sera ma seule ascèse!" (§ 18, V) Cet impératif de l'attention et de la vigilance peut cependant être relâché en certaines circonstances :

                « Si dans certains cas, un danger ou une fête, 
                  Ce n'est pas possible, agissez à votre gré. 
                  Au temps de la générosité, est-il dit, 
                  On peut se détendre en matière de discipline. »(§42, V)

Si on est poursuivi par un tigre, on ne sera peut-être vraiment dans la situation correcte pour être idéalement attentif à son état physique et mental. On a que la préoccupation de fuir à toute jambe! Pareillement, au cours de la fête, l'attention peut aussi momentanément se relâcher pour goûter à ce moment de joie partagée. Cette strophe 42 est particulièrement notable du fait de cette irruption soudaine de la fête dans un texte d'autre part particulièrement ascétique!

Cette garde de la vigilance a le grand avantage de nous permettre de nous tenir éveillé lorsque on se serait tenté de céder à la colère ou des comportements nuisibles pour nous-mêmes et pour autrui. La garde de vigilance nous sert à "rester de bois" lorsque cela se produit. La garde de la vigilance sert à ne pas être obnubilé par l'illusion du corps. Le corps est imparfait : il est voué à la maladie, au vieillissement ainsi qu'à la mort; et néenmoins, nous le chérissons. Être attentif à ce corps sert à s'en détacher et de ne plus en être l'esclave. Shantideva encourage alors le pratiquant à s'en servir comme d'un véhicule pour venir en aide aux êtres vivants, et non plus comme l'objet de toute notre affection (et par conséquent aussi de tous nos soucis).

                « Considérons ce corps comme un navire,  
                  Un moyen d'aller et de venir, rien de plus, 
                  Et transformons-le en corps d'exaucement 
                  Pour accomplir le bien des êtres. » (§70, V)

Ainsi, on sera attentif et attentionné aux autres. On traitera les autres avec douceur. On ne les importunera pas et on ne leur imposera pas notre présence vulgaire, bruyante ou envahissante en restant discret.

                « Le héron, le chat et les voleurs  
                  Se déplace furtivement sans faire de bruit, 
                  Et c'est ainsi qu'ils atteignent leurs fins :
                  Les sages devront toujours les imiter. » (§73, V)

Le pratiquant spirituel sera aussi spécifiquement attentif à l'ensemble des enseignements de sagesse d'où qu'ils viennent. Il sera attentif aux qualités des autres et s'en réjouira vivement. Se réjouir des réussites des autres est source d'une grande joie et la base du sentiment de la communauté et de la solidarité. Il en ressort d'innombrables bienfaits. Généralement, chaque rencontre doit être vue comme une occasion d'Éveil :

                « Quand nous posons les yeux sur un être,  
                  Que ce soit avec franchise et bienveillance,  
                  Et pensant que c'est grâce à lui
                  Que nous atteindrons la bouddhéité.» (§80, V)

La patience

Cette perfection est représentative d'un Mahayana gradualiste à l'extrême. En effet, dans cette perspective graduelle :

                « Un moment de colère détruit 
                  Toutes les activités salutaires (...)
                  Accumulées au cours de mille périodes cosmiques. »
                                                      (6;1)

Shantideva y stigmatise la colère comme le pire mal, le pire ennemi du bonheur. Face à ce mal dévastateur, l'antidote est la patience. Et cet antidote a d'autant plus de valeur aux yeux de Shantideva que ce mal est dangereux :

                « Il n'y a pas de faute comparable à la colère
                  Et pas d'ascèse comparable à la patience.
                  Par conséquent, je cultiverai la patience
                  Avec zèle et de multiple façons. »(§2, VI)

A partir de cette prémisse selon laquelle la colère est la pire des fautes et la patience donc le meilleur des remèdes (dans la mesure où il contribue à éradiquer ce mal, la colère), Shantideva développe une logique spécifiquement saisissante qui fait de ce sixième chapitre exposant la perfection de patience un sommet du Bodhisattvacharyavatara. On va essayer ici de donner les grandes lignes de ces raisonnements sur la colère et la patience.

La colère envenime notre vie par sa force de destruction. Tout doit être mis en l'œuvre pour l'enrayer. C'est pourquoi il faut analyser l'ensemble des maux que la colère provoque et comprendre d'où il vient. La colère naît de nos frustrations et des douleurs ressenties lors des épreuves et des problèmes qui se dressent devant nous et bloquent nos désirs ainsi qu'à notre volonté.

                « Se nourrissant du mécontentement
                  Né de l'accomplissement de ce que je ne veux pas 
                  Et des obstacles à ce que je veux,
                  L'aversion s'accroît et me détruit. »(§7, VI)

Ces problèmes et ces déboires sont la source de tracas, de soucis, d'inquiétudes, d'irritations et de ressentiment. Néenmoins on ne devrait pas s'en faire. En effet :

                « S'il n'y a une solution, 
                  Pourquoi s'attrister ? 
                  S'il n'y a pas de solution, 
                  Pourquoi s'attrister ? »(§10, VI)

S'il y a une solution, on devrait tout mettre en œuvre pour trouver cette solution et rester dans la joie d'être en train de résoudre les problèmes qui nous accablent. S'il n'y a pas de solution, on peut avoir le cœur léger dans la mesure où il n'y a qu'à lâcher prise, se laisser aller au cours des choses et accepter notre sort avec sérénité. La colère ne servira à rien dans la mesure où il n'y a pas de solution; la colère ne fera qu'assombrir ce qui est déjà bien pénible comme ça!

Il faut par conséquent à apprendre à endurer la souffrance et la douleur sans s'énerver et sans perdre patience. Il faut apprendre à ne pas laisser la colère nous agiter de rage et diriger nos mouvements et nos jugements. Cela doit se faire selon un processus particulièrement graduel. Progressivement, on abandonne la colère en augmentant notre capacité à endurer des situations de plus en plus pénibles. Il faut commencer par de toutes petites choses comme savoir patienter en attendant le bus ou endurer un piqûre de moustique, et puis progressivement, notre patience se renforce, nous rendant maîtres de nous-mêmes face à de lourdes épreuves et de grandes adversités.

                « Il n'est rien qui, par l'accoutumance,
                  Ne devienne aisé.
                  Aussi en vous familiarisant avec de moindres maux, 
                  Apprenez à en supporter de grands. »(§ 14, VI)

Le véritable combat n'est par conséquent pas contre notre ennemi détesté, mais contre la colère, notre véritable ennemie. L'héroïsme consiste par conséquent à vaincre notre haine.

                « Ceux qui, dédaignant la souffrance, 
                  Détruisent l'aversion et autres ennemis, 
                  Sont d'héroïques vainqueurs.
                  Le reste n'est que tueurs de cadavres. »(§ 20, VI)

Shantideva nous incite alors à changer radicalement notre point de vue sur la souffrance ainsi qu'à en voir les qualités cachées.

                « Par ailleurs, la souffrance a d'excellentes qualités :
                  Nous affligeant, elle dissipe notre arrogance,  
                  Nous rend compatissant envers les êtres du samsâra,
                  Nous fait éviter les fautes et aimer la vertu. »(§21, VI)

En outre, la colère comme l'ensemble des autres phénomènes est produite à partir de causes et de conditions extérieures à l'individu qui se met en colère contre nous. Lorsque on voit cet enchaînement de causes qui amènent à l'émergence de cette colère, on commence à relativiser cette colère. De la même façon qu'on ne s'emporte pas contre une maladie qui nous accable, on ne devrait pas s'emporter non plus contre les êtres conscients car eux aussi sont poussés dans leurs actions par des causes et des conditions qui les contraignent à agir comme ils agissent :

                « Toutes les fautes, 
                  Toutes les variétés d'erreurs  
                  Se produisent par la force de conditions;
                  Elles ne sont pas indépendantes.

                  (...)Ayant compris cela, je ne m'irriterai pas
                  Contre des phénomènes analogues à des apparitions.

                  Par conséquent, à la vue de l'activité incorrecte
                  D'un ami ou d'un ennemi, 
                  Il faut se dire: "Cela provient de telles et telles conditions"
                  Et demeurer dans la joie. »(§25, 31 & 33, VI)

Les personnes sous l'emprise des passions néfastes se nuisent à eux-mêmes; elles vont même jusqu'à se suicider. Pourquoi par conséquent épargneraient-elles les autres dans leur fièvre destructrice? Il faut ainsi chercher à comprendre l'enchaînement causal qui les pousse à agir comme cela, afin se détacher de nos jugements de colère et de ressentiment à leur encontre. On pourrait alors à deux conclusions opposées quant à la nature de ce mal en eux : 1°) ces gens colériques et malveillants sont mauvais par nature; 2°) ces gens colériques et malveillants ne sont en colère et dans la malveillance que suite à certaines circonstances accidentelles. Cette colère est due à des causes spécifiques et disparaîtra à un moment à un autre.

Dans le premier cas, il ne faut pas se mettre en colère, parce que si leur nature est d'être mauvais, ils n'y peuvent rien. Il faut les accepter comme ils sont , de la même façon qu'on sait que la nature du feu est nous brûler si on le touche.

                « S'il était dans la nature des puérils 
                  De nuire à autrui, 
                  Il serait aussi inopportun de s'irriter à leur endroit
                  Que contre le feu dont la nature est de brûler. »(§39, VI)

Dans le second cas, la colère est aussi inopportune parce que c'est une affectation passagère extérieure à la personne en colère.

                « Et si ces fautes étaient accidentelles
                  Aux êtres dont le caractère est stable, 
                  La colère à leur égard ne serait pas plus logique à leur égard
                  Que contre le ciel envahi par la fumée. »(§40, VI)

Dans les deux cas, il vaut mieux abandonner la colère, car c'est cette colère qui a poussé l'autre à me nuire et c'est celle colère qui pourrira durablement ma vie si je cède à elle . C'est par conséquent bien la colère notre véritable ennemie :

                « Alors qu'en vérité, je suis frappé par le bâton,
                  Je m'irrite contre celui qui le manipule;
                  Or, lui-même étant secondaire et mû par l'aversion, 
                  Il serai correct de me fâcher contre elle.  »(§41, VI)


Shantideva invoque alors la loi du karma qui explique que les maux subis dans cette vie sont le résultat d'actions malveillantes accomplies dans le passé (de cette vie ou d'une vie antérieure) et qu'on paie actuellement.


                 « Auparavant j'ai accompli des méfaits
                  Semblable envers les êtres; 
                  de ce fait, il est juste que ces maux
                  Rejaillisse sur moi qui ai nui aux autres. »(§42, VI)

Donc si je subis des méfaits, c'est la conséquence de mes actes passés qui avaient causés des torts aux autres. Or comme on l'a vu plus haut : "il n'y pas d'ascèse comparable à la patience" (§2, VI). Si par conséquent désormais je pratique la patience, je vais m'élever spirituellement et goûter de suprêmes félicités alors que mes bourreaux vont tomber dans les enfers du fait de leurs mauvaises actions sous l'emprise de la colère. La relation s'inverse : je suis leur bourreaux alors que les bourreaux sont mes victimes !

                 « C'est poussé par mes actions 
                   Qu'apparaissent mes persécuteurs.
                   Si à causes de leurs méfaits, ils tombent en enfer, 
                   Ne suis-je pas leur meurtrier ?

                   M'appuyant sur eux, je purifie de nombreuses fautes
                   Par l'exercice de patience;
                   S'appuyant sur moi, ils tomberont pour longtemps 
                   Dans les souffrances infernales. 

                   Puisque je suis leur persécuteur
                   Et qu'ils sont mes bienfaiteurs,
                   Pourquoi, esprit cruel, 
                   T'emportes-tu de manière erronée ? »(§ 47-49, VI)

Dans cette vue de l'esprit, l'ennemi n'est plus un ennemi, mais l'occasion rêvée de pratiquer l'ascèse de patience, la voie royale vers l'Éveil et la félicité! On devrait par conséquent se féliciter de faire pareille rencontre ! C'est là le retournement qu'opère Shantideva dans ce sixième chapitre du Bodhicharyavatatara : Shantideva change radicalement notre façon de voir les tourments qu'on nous fait endurer pour nous libérer tous ces jugements que nous opérons en permanence et qui finissent par nous emprisonner. Le bourreau, l'ennemi est l'occasion de pratiquer la patience tout comme le mendiant est l'occasion pour moi de pratiquer la générosité :

                 « Le mendiant qui se présente en temps opportun
                   N'est pas un obstacle au don;
                   Et l'on ne peut dire que celui qui confère les vœux
                   Soit un obstacle à l'ordination !

                   Il y a bien des mendiants dans ce monde,
                   Mais rare sont les offenseurs,
                   Car si je nuis pas, 
                   Peu de gens me nuiront. 

                   Ainsi, tel un trésor surgi dans ma maison
                   Sans effort pour l'obtenir,
                   Je dois aimer mon ennemi, 
                   Car il m'assiste dans ma carrière vers l'Éveil. »(§ 105-107, VI)


On pourrait alors penser que refuser de répondre à la colère ainsi qu'à la haine par la violence risque de nous coûter la vie. C'est un risque que Shantideva prend effectivement en compte (même si répondre par violence n'est pas non plus une garantie de rester en vie) ; mais pour Shantideva, la vie n'en vaut pas la peine si c'est pour vivre en accomplissant toutes sortes de turpitudes et créant la douleur pour soi-même et les autres. D'autre part la vie est comme un rêve illusoire. Au réveil, ce rêve disparaît quelle qu'ait été sa durée :

                 « Mieux vaut la mort aujourd'hui même
                   Qu'une longue vie par des moyens d'existence erronés,
                   Car même si les gens comme moi vivent longtemps, 
                   Ils n'évitent pas les souffrances du trépas.

                   Une personne éprouve en rêve un siècle de bonheur; 
                   Où est ce bonheur au réveil ?
                   Une autre éprouve un instant de bonheur; 
                   Où est ce bonheur au réveil? »(§ 57-58, VI)

La colère à l'égard de ceux qui blasphèment contre le Dharma n'est pas non plus propice. En effet, les Bouddhas sont totalement détachés des choses matérielles de ce monde. Que leur importe de perdre un lieu de culte ou une statue en or à leur effigie?

                 « S'emporter contre ceux qui outragent
                   Les statues, les stoupas
                   Et le sublime Dharma est inapproprié, 
                   Car les Bouddhas n'en souffrent pas. »(§ 64, VI)

Face à de tels blasphémateurs, pratiquer la sagesse, l'esprit d'Éveil, la bienveillance et la patience sont sans doute de meilleurs moyens d'honorer et respecter les Bouddhas.


Généralement, le détachement est indispensable pour cultiver la patience. En effet, c'est l'attachement à un objet qui nous plonge dans la détresse lorsque nous perdons cet objet ou que ce dernier est détruit. C'est pourquoi il est important de remédier en premier lieu à cet attachement :

                 « Par exemple, quand le feu a pris dans une maison
                   En atteint une autre,
                   Il est avisé de retirer la paille et autres matières
                   Qui pourraient causer sa propagation. 

                   De même, quand le feu de l'aversion se propage
                   Vers ce par quoi mon esprit est attaché, 
                   De peur que mes mérites ne soient consumés, 
                   Je dois à l'instant abandonner cet attachement.» (§ 70-71, VI)

Il est ainsi spécifiquement judicieux selon Shantideva de ne pas s'attacher à la bonne réputation ainsi qu'à la réussite sociale. Si des gens médisent contre nous, il est juste de cultiver aussi la patience à leur égard. La renommée n'est qu'un mot qui ne mérite pas qu'on se soucie pour elle ou qu'on lui sacrifie tout. Le jugement des autres est leur affaire qui les concerne intérieurement; ce n'est par conséquent pas quelque chose qui devrait m'affecter si je faisais preuve de lucidité.

                 « Les honneurs de la louange et de la renommée
                   Ne m'apportent ni des mérites, ni la vie, 
                   Ni la force ou la santé,
                   Ni même le bien-être physique.
                   Si je savais ce qu'est mon bien, 
                   Comment le verrai-je dans ces choses ?»(§ 90-91, VI)

L'individu sage sait que la renommée n'est pas la condition du véritable bonheur. La renommée est quelque chose de fluctuant qui évolue au gré des rumeurs, des on-dit et des préjugés. Il n'y a rien là-dedans auquel il faille s'attacher. Il y a quelque chose d'assez puéril à s'accrocher à ces enjeux de gloire et de prestige sociaux que Shantideva compare aux jeux des enfants :

                 « Lorsque leurs châteaux de sable s'effondrent, 
                   Les enfants se désespèrent;
                   De même, quand renommée et éloge faiblissent, 
                   Mon esprit est comme un enfant. »(§ 93, VI)

Un pratiquant sur le chemin de l'Éveil n'a par conséquent pas besoin de s'attacher à des réalités aussi évanescentes que des conventions mondaines telles que la gloire, la frime, la réputation ou le prestige. Plus ce sont là des liens sociaux qui entravent ce cheminement spirituel. Et on ne va par conséquent pas se plaindre si quelqu'un nous en libère gracieusement :

                 « Moi-même qui œuvre pour ma libération,
                   N'ai nul besoin d'être lié par les gains ou les honneurs;
                   Pourquoi m'irriterai-je
                   Envers ceux qui me délivrent de ces liens ?  »(§ 100, VI)


En conclusion, tous les êtres sensibles ont la nature-de-Bouddha (skt. tathagatagarbha, littéralement: « germe ou matrice de l'Ainsi-Allé »). Ils ont donc une part de l'Éveil parfait et incomparable en eux qui ne demandent de fructifier. Et il se trouve que la bienveillance et la patience est un moyen extrêmement puissant de faire fructifier ce germe d'Éveil dans les êtres en ce qu'elles abolissent la dualité agressive qui peut se dresser entre les êtres sensibles.
                 « Sans aucun doute, ceux dont la naure est compassion
                   Considèrent tous les migrants comme eux-mêmes;
                   Et ceux-ci voient les Protecteurs dans la nature des êtres.
                   Pourquoi donc manquerai-je de respect aux êtres? 

                   Ayant compris cela, je m'efforcerai 
                   Par tous les moyens à ce qui est méritoire, 
                   Afin que tous soient animés
                   D'un esprit bienveillant les uns envers les autres.  »(§ 126 & 69, VI)


Enfin, Shantideva termine son sixième chapitre sur la patience par les avantages que procure la patience. Shantideva esquisse là tout autant les avantages supra-mondains de libération définitive que les avantages mondains, suggérant là une voie longue et graduelle vers l'Éveil :


                 « Pourquoi ne vois-je pas 
                   Que ma réalisation future de la plénitude, 
                   La gloire, la réputation et le bonheur
                   Naissent du contentement des êtres.

                   Dans le samsâra, la patience est cause de beauté, 
                   De santé et de célébrité; 
                   Grâce à elle, je vivrai longtemps
                   Et obtiendrai les larges jouissances d'un monarque universel. »(§ 133 &134, VI)

La persévérance

Shantideva définit la persévérance comme «L'enthousiasme pour le bien.» (7;2). Alors que la patience était en quelque sorte la vertu passive indispensable à l'accumulation des mérites en contexte gradualiste, la persévérance représente le même type de vertu reconnue du côté dynamique, actif ; du côté de la force et de l'énergie. Mais la même perspective domine : l'éveil semble reculer au-delà de toute limite imaginable :

                 « Je dois détruire d'innombrables imperfections,
                   Les miennes et celles d'autrui,
                   Mais pour chacune d'elles,
                   Un océan de périodes cosmiques s'écoulera. »
                                                       (7;33)

Dans ces conditions, le bodhisattva a quasiment renoncé au Nirvana pour lui-même et aussi pour les autres. C'est contre une telle conception décourageante que le Bouddhisme de la Terre Pure et le Chan ont réagi en facilitant l'accès à l'éveil.

La méditation

Y sont exposés deux méthodes de méditation :

La sagesse

Ce chapitre philosophiquement important se présente sous la forme d'un dialogue. les arguments des deux courants du madhyamika : particularistes (svatantrika) et conséquentialistes (prasangika) s'opposent aux arguments des autres écoles bouddhistes (réalistes, parfaitistes) et non-bouddhistes (Samkhya, Nyaya, atomistes, matérialistes). La vacuité finit par imposer le silence à l'ensemble des objecteurs.

L'application des bienfaits

La dernière perfection (au contraire de l'usage respectant les traditions) est la générosité. C'est une exhortation en forme de litanie à ce que l'ensemble des êtres puissent jouir (chacun à son niveau) des bienfaits de l'éveil, «unique remède à la douleur du monde.»

Conclusion

Excepté le chapitre 9, rédigé dans un style technique et qui est un modèle de réduction par l'absurde, le reste de l'œuvre est rédigé dans un style poétique et inspiré, aisément accessible.

Le bodhycharyavatara est toujours utilisé comme manuel d'étude et de méditation dans le bouddhisme tibétain.

Traductions et commentaires en langue française

Traductions & commentaires en langue française

2 traductions récentes :

2 traductions plus anciennes :

  1. Bodhicaryavatara, Louis de la Vallée-Poussin, Asiatic Society, Calcutta, 1902.
  2. La marche à la lumière, Louis Finot, 1920 (réédité aux Deux Océans, Paris, 1987). La marche vers l'Éveil est en fait une version perfectionnée et remaniée de La marche à la Lumière de Louis Finot.


Commentaires (du IXe chapitre)

  1. Comme un éclair déchire la nuit, XIVe Dalai-Lama, Albin Michel, Paris, 1993.
  2. Tant que durera l'espace, XIVe Dalai-Lama, Albin Michel, Paris, 1996.
  3. La sagesse transcendante, XIVe Dalai-Lama, éd. Kunchab, Schoten (Belgique), 2001.
  4. Pratique de la sagesse, XIVe Dalai-Lama, Presses du Châtelet, Paris, 2006.
  5. L'opalescent joyaux, Lama Mipham (XIXe siècle), traduit et présenté par Stéphane Arguillère, Fayard/Trésor du bouddhisme, Paris, 2004.

Commentaire (du premier chapitre)

Les bienfaits de la pensée de l'Éveil, Thich Tri Lai, éd. You-feng, Paris, 2001.

On se reportera aussi à la page Wikipedia en anglais pour les traductions et commentaires en langue anglaise. Pour les traductions et les commentaires en sanskrit ou en tibétain, on se reportera aux bibliographies des ouvrages qui viennent d'être cités.


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"Santideva's Bodhicharyavatara"

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