Notions de dieu et de divinité dans le bouddhisme

Le bouddhisme est le plus souvent nommé une religion, quoique la majorité de ses pratiquants le perçoivent comme une forme de spiritualité sans dieu ou alors une philosophie.



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Bouddhisme - Mythologie bouddhique

Tara, déité populaire du bouddhisme, à l'origine divinité hindoue éponyme, forme de Durga

Le bouddhisme est le plus souvent nommé une religion, quoique la majorité de ses pratiquants le perçoivent comme une forme de spiritualité sans dieu (au sens abrahamique du terme) ou alors une philosophie. La question de l'existence d'un dieu créateur et de divinités dans le bouddhisme est quelquefois un sujet de controverses ou d'incompréhension dans la vision du grand public et des autres religions. La traduction et l'analyse de textes/sutras quelquefois contradictoires et décrivant des attributs qu'on réserve habituellement à dieu a contribué à cet état de fait.

Le Bouddha historique est-il un dieu ?

Bien que la notion d'un dieu créateur soit absente de la majorité des formes du bouddhisme (elle est présente dans les formes syncrétiques en Indonésie), la vénération et le culte du Bouddha historique (Siddhārtha Gautama) comme Bhagavat (un terme respectant les traditions de l'Inde qui précède le nom des divinités (quelquefois transcrit Bhagavan ou Bhagwan) ) [1] joue un rôle important dans le Theravada et spécifiquement dans le Mahayana à qui on attribue l'élévation du Bouddha au statut de quasi-dieu[2].

Dans certaines traditions du Mahayana (comme le Tathagatagarbha ou dans la Terre Pure) le Bouddha est déclaré "omniprésent", "omniscient", "essence libératrice de la réalité". Certains tantras décrivent le Bouddha comme la "source de l'ensemble des êtres et de l'ensemble des univers"[3]. Le Bouddha historique est perçu par l'école Jonangpa du Bouddhisme tibétain comme étant «absolu, omniprésent, connaissance suprême au-delà des limitations de la conscience ordinaire»[4].

Brahma et les divinités dans le Bouddhisme des origines

Bouddha en conversation avec Indra et Brahma

Selon les principes généraux du bouddhisme, Brahma n'est pas perçu comme le créateur de l'univers avec les attributs du dieu (au sens hindouiste ou même abrahamique du terme). Brahma, comme les dévas, serait en fait sujet au changement, au déclin ainsi qu'à la mort, comme l'ensemble des êtres soumis au samsara. Ce qui ne fait pas de lui un "dieu" au sens "d'être suprême". La notion d'un être suprême est contradictoire avec les caractéristiques de l'existence que sont impersonnalité et impermanence : elle est répertoriée parmi les vues fausses dans le Brahmājālasūtta.

Le bouddha, dans les suttas du canon Pāli, parlant des prêtres brahmanes de l'hindouisme qui n'ont jamais rencontré Brahma tout en enseignant comment vivre en unité avec lui, dit qu'ils sont engagés dans une «tâche stupide, ridicule, vaine et vide»[5].

Ayant approché les prêtres qui soutiennent que “tout ce dont une personne fait l'expérience est causé par un acte créateur de l'être suprême», je leur ai dit «Est-il vrai que vous soutenez cela ?». Ils admirent que oui. Alors, je leur dis «Dans cas, un homme est un meurtrier à cause du créateur, un voleur, un menteur, un diviseur, une personne dure, un avare, un ignorant à cause de l'acte créateur d'un être suprême ?

Dans le Tittha Sutta[6], Bouddha déclare que «le fait de croire en la création du monde par un être suprême» conduit à un manque d'effort dans la pratique ainsi qu'à l'inaction[7].

Sir Charles Norton Edgecumbe Eliot, diplomate anglais et érudit bouddhiste, dans son ouvrage sur l'hindouisme et le bouddhisme[8] présente ainsi la relation aux déités dans le bouddhisme des origines :

Dans le bouddhisme des origines, le monde des esprits, des déités et des démons qui peuplent tel ou tel monde, n'est pas rejeté mais les vérités de cette religion ne dépendent pas d'eux et la tentative de gagner leur soutien par des sacrifices ou des oracles est par contre rejeté comme des pratiques vulgaires.

Dans plusieurs textes, les dieux ne sont en effet pas pris au sérieux, quoiqu'évoqués souvent comme des accessoires. Il existe même des passages dans lesquels Gautama se moque d'eux. Ainsi, le Kevaddha Sutta rapporte comment un moine qui méditait sur une question métaphysique s'adressa à plusieurs dieux et en arriva à interroger Brahma directement, entouré de sa cour. Sa question était «Où les éléments cessent-ils d'exister et ne laissent plus aucune trace ?». Ce à quoi Brahma répondit «Je suis le grand Brahma, le suprême, le tout-puissant, le seigneur de toute chose, le créateur, l'ancien, le père de tout ce qui fut et tout ce qui sera». Le moine répondit alors «mais, je ne vous ai pas demandé si vous étiez tout ce que vous venez de déclarer, mon ami, mais où les éléments cessent d'exister et ne laissent plus aucune trace». Alors, Brahma le prit par le bras et le tira à l'écart de sa suite pour lui dire : «Tous ces dieux pensent que je sais et que je comprends tout. Donc, je ne donne aucune réponse en leur présence. Je ne connais pas la réponse à cette question, vous feriez mieux d'aller demander à Bouddha»[9].

Dans le Brahmanimantanika Sutta ("l'invitation de Brahma"), Brahma, dont un des conseillers est le démon Māra, est ridiculisé dans ses prétentions à l'éternité ainsi qu'à la toute-puissance.

Dans le Tevijja Sutta, par contre, le Bouddha accepte d'enseigner aux brahmanes qui l'interrogent à ce sujet la voie de l'union avec Brahma, même si cela ne forme pas l'objectif ultime de la voie bouddhique :

Je connais Brahma, je connais aussi l'état céleste de Brahma, je connais aussi la voie menant à l'état céleste de Brahma, je sais aussi qui est né dans cet état céleste de Brahma.

Cette voie de l'union avec Brahma enseignée dans le Tevijja Sutta est constituée en pratique des Quatre Incommensurables.

La nature du Dharma

La nature même du dharma, tel que décrite par Bouddha lui-même, par exemple dans le Samadhiraja Sutra, est comparable à celle d'un corps ou d'un être immortel, une vaste essence qui dépasse la forme humaine, identique au Brahman ou même au Narayana de l'hindouisme. [10]

Tathagata, le bouddha se comparant aux dieux

Des moines bouddhistes en Thaïlande, défilent devant la statue de Bouddha

Dans les traditions du Mahayana, on pense qu'il existe un nombre incalculable de Bouddhas, tous d'une seule essence : c'est dans ce sens que le bouddha se proclame lui-même Tathagata[11] et se positionne au-dessus des autres dieux lorsqu'il déclare, entre autres dans le Lalitavistara Sutra : "je suis le dieu au-dessus des dieux, supérieur à l'ensemble des dieux, aucun dieu n'est comme moi, comment pourrait-il y en avoir qui plus est grand ?»[12].

Dieu comme force créatrice ou réalité ultime dans le bouddhisme ?

Les différentes écoles bouddhistes apportent des nuances diverses sur la question de la divinité du bouddha ou de l'existence d'un être suprême. Certains discours sont susceptibles d'interprétations diverses. Sokei An Shigetsu Sasaki, représentant du Zen Rinzai, présente les choses ainsi :

La force créatrice de l'univers n'est pas un être humain, c'est le bouddha. Celui qui voit, celui qui entend n'est pas cet œil ou cette oreille mais ce qui est cette conscience. Cela est le bouddha. Et cela apparaît dans l'esprit de chacun, est commun à l'ensemble des existants, et cela est dieu[13]

Le roshi Soyen Shaku, aussi maître du Zen Rinzai, affirme que l'idée de dieu n'est pas absente du bouddhisme comme réalité ultime :

Le bouddhisme n'est pas athée, dans le sens ordinaire du terme. Il y a un Dieu, la réalité et la vérité la plus élevée, par lequel ainsi qu'à travers lequel cet univers existe. Mais les pratiquants du bouddhisme évite ce terme parce qu'il fait penser au christianisme dont l'esprit n'est pas en accord avec l'interprétation bouddhiste de l'expérience religieuse. Pour définir plus exactement la notion d'un être supérieur, il faudrait emprunter le terme «panenthéisme» découvert par un universitaire allemand (Karl Christian Friedrich Krause) selon lequel dieu est tout et unique et plus que la totalité de l'existence. Les bouddhistes n'utilisent pas le terme dieu qui appartient par conséquent à la terminologie chrétienne. Un équivalent souvent utilisé est Dharmakaya. Lorsque le Dharmakaya est plus concrètement conçu, il deviant le tathagata[14].

Dans le Mahavairocana Sutra, l'essence de Vairocana est symbolisée par la lettre A qui résiderait dans le Cœur de l'ensemble des êtres [15] :

Il est le seigneur et le maître de tout Il imprègne complètement l'animé et l'inanimé A, est l'énergie de vie suprême

Le texte parle de Vairocana Buddha comme du Bhagavat, un terme respectant les traditions pour désigner le divin en Inde :

Le maître du Dharma, le sage qui a atteint la perfection, qui est toute connaissance, le seigneur Vairocana [16].

De telles descriptions qui s'apparentent à celle d'un être suprême, un dieu, peuvent être aussi trouvées dans le tantra du «roi créateur de toute chose» (Kunjed Gyalpo Tantra), l'esprit universel de l'éveil comme Samantabhadra Buddha déclare : Je suis au cœur de tout ce qui existe. Je suis la graine de tout ce qui existe. Je suis la cause de tout ce qui existe. Je suis le tronc de tout ce qui existe. Je suis la fondation de tout ce qui existe. Je suis la racine de l'existence. Je suis le centre parce que je contiens l'ensemble des phénomènes, la graine parce que je donne naissance à tout, la cause parce que tout vient de moi, le tronc parce que les ramifications de tout événement émergent de moi, la fondation parce que tout réside en moi, la racine parce que je suis toute chose[17].

Cependant, toutes ces figures "divines", Samantabhadra, Vairocana, Vajradhara sont le plus souvent interprétées par les pratiquants comme des personnifications du vide et de la compassion, de la nature du bouddha, qui serait la véritable nature de l'ensemble des phénomènes. Certains bouddhistes voient par conséquent les citations ci-dessus comme des expressions subjectives tandis que d'autres pensent qu'elles sont à prendre au pied de la lettre comme la description d'une essence spirituelle qui soutient l'ensemble des phénomènes.

Un des Sutras principaux du Mahayana, le Lankavatara Sutra[18], dit que la notion d'un dieu souverain est issue de "fausses imaginations" et peut, de surcroît, être un empêchement pour accéder à la perfection à cause de l'attachement au concept «dieu». Le même sutra évoque les différentes appellations du bouddha par «les ignorants» :

Ils parlent de moi en utilisant diversesappellations sans réaliser que ce sont tous des noms du Tathagata (…) Quoiqu'ils m'honorent et me louent, ils ne comprennent pas le sens des mots qu'ils utilisent, n'ayant pas réalisé la vérité, ils s'attachent aux mots de leurs livres canoniques, ou à ce qu'on leur a dit, ou à ce qu'ils ont imaginé, et ne voient pas qu'ils utilisent l'un des nombreux noms du Tathagata[19].

Les dévas

Ils font partie de la cosmogonie bouddhiste, des êtres imparfaits qui vivent dans des environnements célestes. La vie d'un déva est par conséquent ainsi soumise au samsara dans cette vision et ne serait pas un "dieu" au sens commun du terme.

Les tenants d'un Bouddha historique théiste

Robert A. F. Thurman de la Columbia University, qui fut aussi moine bouddhiste :

Non seulement Bouddha croyait en Dieu, mais il le connaissait. Il y avait de nombreux athées à l'époque du Bouddha, comme les Matérialistes du Chârvâka, et le Bouddha critiquait leur manque de foi dans une réalité spirituelle[20].

Dans un chapitre intitulé «les points de vue divergents du bouddhisme et des autres religions au sujet d'une réalité ultime», William Stoddart, dans son ouvrage «outline of Buddhism», dit que la croyance bouddhiste est théiste mais que l'existence d'une réalité ultime, dieu, à la fois immanente et transcendantale, a été mal comprise à cause de l'insistance mise sur l'aspect immanent. Il commente Thurman en disant que la question de l'aspect non matériel de dieu a conduit à des compréhensions erronées disant qu'il n'y avait pas de dieu dans le bouddhisme[21].

Ce point de vue n'est cependant pas majoritaire parmi les bouddhistes. Nyanaponika Thera exprime de la façon suivante le point de vue le plus courant, celui d'un athéisme ouvert et tolérant [22] :

L'étude des discours du Bouddha conservés dans le Canon pali montre que l'idée d'un dieu personnel, d'un dieu créateur censé être éternel et tout-puissant, est incompatible avec les enseignements bouddhiques. D'autre part, les conceptions d'une quelconque divinité impersonnelle, telle qu'une âme cosmique, etc., sont exclues par les enseignements bouddhiques d'anatta, l'absence de soi, ou l'insubstantialité. (…)
Nibbâna (…) ne peut être identifié avec aucune forme de l'idée de Dieu, car il n'est ni l'origine ni le fondement immanent ni l'essence du monde.
Le bouddhisme n'est pas ennemi de la religion comme est censé l'être l'athéisme. Un bouddhiste peut apprécier les valeurs éthiques, spirituelles et culturelles que la croyance en Dieu a génèrées au cours de l'histoire longue et bigarrée qui est celle de cette opinion. Cependant, nous ne pouvons fermer les yeux sur le fait que le concept de Dieu a trop fréquemment servi de paravent à la volonté humaine de puissance, à son usage inreconnu et cruel, et a ainsi augmenté énormément la quantité de souffrance dans un monde supposé être la création d'un Dieu d'amour. Pendant des siècles, la libre pensée, le libre examen et l'expression de points de vue dissidents ont été combattus et réprimés au nom de Dieu, et malheureusement ce type d'action mais aussi d'autres conséquences négatives sont toujours d'actualité actuellement.

Voir aussi

Références

  1. voir titres honorifiques de Shakyamuni
  2. (en) Livre en ligne "Bouddha et Dieu" de Tony Page, Nirvana Publications, 2000.
  3. Kunjed Gyalpo Tantra
  4. Dolpopa Sherab Gyaltsen écrivait : «le Bouddha, qui n'est pas un existant» (sentient being, c-a-d "pourvu de sens" et soumis au samsara) dans The Buddha from Dolpo, Cyrus Stearns, SUNY, New York, 1999, p. 149 à 150)
  5. Digha-Nikaya 13, Tevijja Sutta
  6. Tittha Sutta en ligne (anglais)
  7. Tittha Sutta, Anguttara Nikaya 3.61
  8. Hinduism and Bouddhism, an historical sketch
  9. Kevaddha Sutta
  10. Inoncevable, au-delà de la sphère de la pensée, n'oscillant pas entre la félicité et l'a souffrance, au-delà des distinctions illusoires, sans lieu, au-delà de la parole de ceux qui aspirent à la connaissance du Bouddha, essentiel, au-delà de toute passion, indivisible, au-delà de la haine, stable, au-delà de toute vanité, décrit comme étant vide, non né, au-delà de l'apparition, éternel, non différencié, impensable (... ) ainsi peut être décrit le Corps du Tathagata. ' (Philosophy in the Samadhiraja Sutra de Konstanty Regamey, Motilal Banarsidass, Delhi 1990, pp. 87-89)
  11. Un terme utilisé dans l'hindouisme pour désigner le suprême Brahman
  12. Lalitavistara Sutra
  13. The Zen Eye, Weatherhill, New York 1994, p. 41
  14. Sermons of a Buddhist Abbot de Soyen Shaku, Samuel Weiser Inc, New York, 1971, pp. 25-26, 32
  15. Maha-Vairocana-Abhisambodhi Tantra, p. 331
  16. Maha-Vairocana-Abhisambodhi Tantrap. 355
  17. Kunjed Gyalpo Tantra, La source suprême p. 157
  18. le sutra en français
  19. Lankavatar Sutra, Chapter XII Tathagatahood Which Is Noble Wisdom, translated by Suzuki and Goddard
  20. extraits de "Le Bouddha croyait-il en dieu ?"
  21. "Outline of Buddhism" (Foundation for Traditional Studies, 1998) et sur extraits de "Le Bouddha croyait-il en dieu ?"
  22. Buddhism and the God-idea

Bibliographie

Les Dieux du bouddhisme, Frédéric Louis, Flammarion 2001

Le Silence du Bouddha : Une introduction à l'athéisme religieux de Raimon Panikkar actes sud 2006

Les devas d'Asoka : dieux ou divines majestés, J. Filliozat, Journal Asiatique, 1949

Le Bouddhisme, ni dieu, ni âme, Vogel, Gaston, éditions Phi

Divinités terribles du bouddhisme Vajrayâna, de Detlef Ingo Lauf, L'asiathèque, 1978

Hindouisme et bouddhisme, par Ananda Coomaraswamy, Gallimard Folios

L'absolu en philosophie bouddhique, A. Bareau, Paris 1951

Le Culte des dieux chez les bouddhistes singhalais, Wijayaratna Môhan, éditions du Cerf

Générer la divinité : pratique du tantra bouddhique, par Gyatrul Rimpotché, chez Yogi Ling

Bouddha and God de Tony Page, Nirvana Publications, 2000, Londres.

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