Coproduction conditionnée

La Coproduction conditionnée est le concept bouddhique de conditionnalité, de dépendance, de réciprocité.



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Concept bouddhique - Bouddhisme

La Coproduction conditionnée (pratîtyasamutpada en sanskrit, prononcer «prətī :tyə səmŭtpα :də», paticcasamuppāda en pāḷi) est le concept bouddhique de conditionnalité, de dépendance, de réciprocité.

D'après Christian Maès, une traduction plus correcte en français, devrait être : «coproduction conditionnelle», mais le terme «coproduction conditionnée» reste surtout utilisé. Ce terme veut dire littéralement «l'origine d'une action».

L'essentiel du concept réside dans la notion d'interdépendance. Ainsi, dans le bouddhisme, l'ensemble des phénomènes sont composés et inter-dépendants, que ce soient les objets physiques, les sensations, les perceptions, la pensée, la conscience. Selon le Bouddha, ces cinq «aliments» conditionnent le maintien de «l'existence des êtres vivants». La coproduction conditionnée est valable pour toute chose, mais est fréquemment présentée pour expliquer l'origine de dukkha.

La coproduction conditionnée est un concept particulièrement étendu dans la littérature bouddhique, que ce soit au sein du Canon bouddhique ou dans les écritures et commentaires des différentes écoles, comme par exemple dans le Lalitavistara, texte du bouddhisme mahâyâna décrivant la vie du Bouddha et , surtout, sa découverte de la vérité de la conditionnalité au moment de son atteinte de l'éveil.

Il s'agit d'un concept théorique lié à une pratique, surtout celle de la méditation, se fixant pour but l'atteinte du nirvāna par l'observation des phénomènes tels qu'ils sont.

Formulations

Il existe plusieurs formulations, plus ou moins classiques, du principe de coproduction conditionnée.

Courte

Dans les textes originaux, la formulation courte est la suivante :

«Imasmim sati, idam hoti [bhavati] ;
imassuppâdâ, idam uppajjati.
Imasmim asati, idam na hoti ;
imassâ nirodha, idam nirujjhati. »

Elle est le plus souvent traduite ainsi en français :

«Lorsque ceci est , cela est ;
Ceci apparaissant, cela apparait.
Lorsque ceci n'est pas, cela n'est pas ;
Ceci cessant, cela cesse. »

Cependant, selon Dominique Trotignon (de l'Université Bouddhique Européenne), cette traduction pose problème, étant donné que, dans les textes originaux, ce ne sont pas les mêmes formulations qui sont utilisées pour les verbes dans les deux parties de la phrase. De plus, elle ne met pas en avant l'idée, répandue dans le bouddhisme ancien, de conditions multiples face à celle, plutôt présente dans les interprétations ultérieures, de cause (renvoyant l'idée de cause principale et de chronologie).

Une traduction plus fidèle aux textes originaux pourrait par conséquent être :

«Ceci étant, cela devient ;
ceci apparaissant, cela naît [croît, est construit].
Ceci n'étant pas, cela ne devient pas ;
ceci cessant, cela cesse de naître [croître, de se construire]. »

Dans ces deux formulations, une lecture — parmi d'autres — consiste à mettre en avant les deux parties de chaque phrase. Les premières parties se référant à la réalité, telle qu'elle est, et les secondes au Saṃsāra.

Pour Ajahn Brahm, ces formulations rejoignent ce qu'on connaît aussi en logique sous le nom de "condition nécessaire" (lorsque ceci n'est pas, cela n'est pas) et de "condition suffisante" (lorsque ceci est , cela est ).

Longue

Une formulation plus longue est assez rapidement apparue dans l'histoire du bouddhisme. Elle introduit plusieurs modifications comparé aux textes anciens, surtout un enchaînement causal, puis — dans le mahayana — une dimension matérielle.

La coproduction conditionnée est ainsi présentée comme un ensemble de douze liens, ou maillons, les douze nidānas, formant une suite cyclique, dont certaines écoles bouddhiques considèrent qu'elle est sans cesse parcourue par les êtres humains dans le samsara.

Dans cet exposé, ces conditions participent à l'origine du dukkha. Dans le Mahā-tanhāsankhaya-sutta, il est ainsi précisé, à la fin de l'exposé de la loi de coproduction conditionnée : «telle est la naissance de tout ce monceau de dukkha».

Ces maillons sont (les termes précédés d'un «s.» sont notés en sanskrit, précédés d'un «p.», en pāḷi)  :

  1. L'aveuglement, l'ignorance (s. avidyā, p. avijjā)  ;
  2. Les créations (formations, constructions) mentales (s. samskāra, p. sankhāra)  ;
  3. La conscience discriminante (s. vijñāna, p. vinnāna)  ;
  4. Le nom et la forme, les phénomènes physiques et mentaux (s., p. nāma-rūpa) ;
  5. Les six «sphères» sensorielles (s. sadāyatana, p. salāyatana)  ;
  6. Le contact (s. sparśa, p. phassa)  ;
  7. La sensation (s., p. vedanā)  ;
  8. La soif (s. tṛṣna, p. tanhā) ;
  9. L'attachement, l'appropriation (s., p. upādāna).
  10. L'existence, le devenir (s., p. bhava).
  11. La naissance (s., p. jāti).
  12. La vieillesse et la mort : (s., p. jarā-maraṇa).

Cette formulation a une tendance à présenter la coproduction conditionnée comme une suite chronologique, un enchainement causal. Or, cette interprétation n'est pas présente comme telle dans les textes les plus anciens. On ignore l'époque où s'est fixée cette formulation en douze éléments, car seuls huit sont constamment présents dès l'origine : l'ignorance, les constructions mentales, la conscience discriminante, le contact, le sentiment, la «soif», l'attachement et l'existence. Les quatre éléments tardifs sont donc : le nom et la forme, les sphères sensorielles, l'apparition et enfin la vieillesse et la mort.

Du point de vue chronologique, on peut distinguer les conditions appartenant au passé (l'ignorance et les constructions mentales), au présent (les huit restantes, que ce soit comme conséquence du passé ou conditions de l'avenir). Du point de vue «causal», on peut différencier les souillures (ignorance, soif, attachement), les actes (constructions mentales, existence) et les fruits (conscience discriminante, nom et forme, sens, contact, sentiments, naissance, vieillesse et mort).

D'après Dominique Trotignon, ces deux lectures induisent une interprétation matérielle des quatre conditions supplémentaires. Il ajoute que la conscience devient alors :

«envisagée, non plus comme un "acte de conscience discriminante", mais comme un "support de renaissance" — interprétation devenue elle aussi "classique", autant chez Buddhaghosa que dans l'école Sarvâstivâda. »

Cette formulation est probablement apparue de par l'obligation d'enseigner la loi de coproduction conditionnée, le langage ne permettant pas de se passer d'une chronologie. Cependant, de nombreux commentaires mettent en garde contre le fait d'interpréter la coproduction conditionnée de cette unique façon. Ainsi, Buddhaghosa donne-t-il un long avertissement au lecteur, dans le 17e chapitre de son Visuddhimagga, dès le Ve siècle de l'ère chrétienne, l'incitant à considérer la coproduction conditionnée ainsi :

«La réunion des causes, énoncées une par une, provoque la manifestation des effets […] Cette réunion, qui produit un effet commun quand aucun des facteurs ne manque, est conditionnelle parce qu'elle amène face à face les facteurs au complet. Cette réunion s'appelle coproduction parce qu'elle produit des facteurs simultanés qui n'existent pas indépendamment les uns des autres. »

Interprétations

Theravada

Dans le bouddhisme theravada, l'aveuglement n'est pas l'unique cause des créations, il n'y a pas une cause et un effet mais plusieurs causes et plusieurs effets.

D'autre part, le theravada reconnaît dans la coproduction conditionnée trois temps ; le deuxième maillon, les activités volontaires (sankhara), sont production de kamma appartenant au passé, alors que le troisième maillon, la conscience, vijnana, est un effet actuel. De même, la soif, l'attachement et le karma sont des causes actuelles, alors que les deux derniers maillons sont effets futurs.

Ajahn Brahm[1] donne la comparaison suivante : si on a l'argent et le désir, on peut acheter un terrain et s'y faire construire une maison, puis y déménager. L'argent représente le karma, le désir est la soif, la maison est "bhava" (le devenir), le déménagement est la renaissance.

Conditions

Dans le Theravada, il existe vingt-quatre types de conditions, quoique certaines soient posées par Buddhaghosa comme synonymes. L'étude des conditions débouche sur une approche analytique de la coproduction : à chaque étape il s'agit de détailler exactement ce qui est conditionné. Par exemple c'est la sensation agréable qui conditionne la soif et non les autres types de sensation.

L'exposé complet des conditions et leur applications à tous les phénomènes mentaux et physiques réside dans le Patthana, dernier — et gigantesque — livre de l'Abhidhamma pitaka, comportant six volumes. Ce livre n'a pas encore été traduit en langue européenne.

Ces conditions sont posées comme la condition sine qua non pour comprendre la coproduction conditionnée. Ainsi, selon Nyanatiloka  : «Pour comprendre idéalement le Paticcasamuppāda, il […] faut connaître les principaux modes de condition ou de relation» (in Vocabulaire pali-français des termes bouddhiques).

Les conditions elles mêmes sont discutées et des écarts d'interprétations semblent prendre place au sein du Theravada. Buddhaghosa détaille des conditions qu'il pose comme synonymes mais qui portent néenmoins un nom différent. Puis, il propose d'appliquer à chaque étape les conditions qui conviennent, selon la logique du Patthâna : il s'agit en premier lieu de détailler, par exemple, quelles créations conditionnent quels états de conscience, puis de quelle manière.

Condition causale 
C'est à la fois une condition et une cause, et ce schéma est valable pour chacune des conditions. La condition causale représente un fondement. Selon Buddhaghosa, "Les causes fournissent un fondement dans le sens qu'elles assurent une bonne base, et non parce qu'elles transmettent leur nature" (traduction Christian Maës).
Condition d'objet 
L'agent qui en aide un autre en lui servant d'objet : de même que l'homme faible ne peut marcher sans s'appuyer sur une canne, les états d'êtats d'esprit ont besoin d'un objet pour se manifester.
Condition de prédominance 
L'agent qui en aide un autre en le dominant.
Condition d'immédiateté 
L'agent qui en aide un autre par sa proximité temporelle.
Condition de simultanéité 
L'agent qui en aide un autre en apparaissant simultanément, «comme la lampe pour la lumière».
Condition de réciprocité 
Agents qui facilitent leur consolidation réciproque "comme les pieds d'un trépied".
Condition de support 
L'agent qui en aide un autre en lui servant de support, de socle.
Condition de fort support 
Idem que précédent
Condition d'antériorité 
L'agent qui en aide un autre en apparaissant en premier
Condition de postériorité 
L'agent non physique qui renforce un agent physique antérieur.
Condition de répétition 
L'agent non physique qui n'est qu'une répétition d'un agent non physique antérieur.
Condition de Kamma 
Cette condition décrit un effort intentionnel.
Condition de résultat 
Un état d'esprit paisible et serein aidant l'état d'esprit suivant à être paisible et serein.
Condition d'apport 
L'aliment conditionne le physique.
Condition de faculté 
Quand des facultés conditionnent des agents non physiques — par exemple la faculté oculaire conditionnant la conscience visuelle.
Condition de Dhyana 
Un Dhyana conditionne les facteurs qui lui sont associés, parmi Vitakka, Vicara, Piti, Sukkha, Upekkha et Ekaggata.
Condition de chemin 
Les facteurs aidant à sortir du Samsara.
Condition d'association 
Les agents non physiques qui s'associent au même objet (voir : Skandhas).
Condition de dissociation 
Au contraire de la condition précédente, les agents non physiques se renforçant réciproquement en n'étant pas associés au même objet.
Condition d'existence 
Un agent qui en renforce un autre, identique.
Condition d'inexistence 
L'agent non physique qui en aide un autre à apparaître en disparaissant.
Condition de disparition 
Idem que condition précédente.
Condition de non-disparition 
Idem que condition d'existence.

Explications

L'aveuglement conditionne les créations
Les créations conditionnent les états de conscience
Les états de conscience conditionnent les phénomènes physiques et mentaux
Les phénomènes physiques et mentaux conditionnent les six sphères sensorielles
Les six sphères sensorielles conditionnent le contact
Le contact conditionne les sensations
Les sensations conditionnent la soif
La soif conditionne l'attachement
L'attachement conditionne l'existence
L'existence conditionne l'apparition
L'apparition conditionne la vieillesse et la mort

Sortir du cycle

Le Upanissa sutta présente la formulation du cycle qui amène à se libérer de dukkha, qui en est par conséquent le premier maillon (la liste présentée se fonde sur la traduction de Thanissaro Bhikkhu)  :

  1. souffrance ;
  2. conviction ;
  3. joie ;
  4. ravissement ;
  5. sérénité ;
  6. plaisir ;
  7. concentration ;
  8. connaissance et vision des choses telles qu'elles sont ;
  9. désenchantement ;
  10. «dépassionnement» ;
  11. libération ;
  12. connaissance de la libération.

On retrouve dans cette formulation certains «facteurs» propres à la pratique de samatha, mais aussi certains stades de vipassana selon la description qu'en fait le bouddhisme theravada.

Madhyamaka

Le bouddhisme mādhyamika présente une interprétation originale de la coproduction conditionnelle. Nāgārjuna rédigé dans le Madhyamakakārika  :

«Où que ce soit, quelles qu'elles soient, ni de soi ni d'autrui, ni de l'un ni de l'autre, ni indépendamment de l'un et de l'autre, les choses ne sont jamais produites. » (traduction de L. Biton)

Rien n'est jamais produit :

«La production conditionnée concerne des phénomènes inconsistants, insubstantiels, qui échappent aux quatre alternatives de "l'être", du "néant", de "l'être" et du "non-être" à la fois et du "ni être ni non-être". » (Philippe Cornu).

La coproduction conditionnée n'est que vacuité, ce qui fait la spécificité de sa compréhension par le Madhyamaka. Ce n'est qu'une vérité conventionnelle (saṃvṛti), ce n'est pas une causalité inhérente qui existerait réellement.

Cittamātra

Selon l'école du Cittamātra, la coproduction conditionnée n'est «rien qu'esprit». Il ne s'agit pas de dire que tout soit illusoire, que l'esprit n'existe pas, mais de ramener l'ensemble des autres phénomènes à celui de consciences, vijnanas.

Selon Asaṅga :

«Le pratîtyasamutpada à douze membres est celui qui répartit l'agrément et le désagrément (…). Ici, ceux qui se trompent sur la première production en dépendance (…) pensent qu'il faut rechercher l'origine des choses dans leur nature propre, ou dans les actes antérieurs, ou dans une métamorphose du créateur, ou dans le soi ; ou encore ils pensent qu'il n'y a ni cause ni condition. Ceux qui se trompent sur la seconde production en dépendance imaginent un Soi actif et jouisseur. » (in La somme du grand véhicule d'Asanga, traduction Étienne Lamotte).

Références

  1. [1]

Bibliographie

Voir aussi

Liens externes

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