Trikāya
Le terme sanskrit trikāya ou triple corps des bouddhas sert à désigner dans le mahāyāna et le vajrayāna trois plans d'expression de l'éveil, ou encore dimensions de la réalité.
Le terme sanskrit trikāya (tib. sku gsum) ou triple corps des bouddhas sert à désigner dans le mahāyāna et le vajrayāna trois plans d'expression de l'éveil, ou encore dimensions de la réalité.
Les trois corps dans le Theravāda
Le Canon pāli sert à désigner trois corps de Gautama Bouddha :
- son corps formel fait des quatre éléments (pāli caturmahābhūtikāya), soit le corps historique de Gautama.
- le corps mental (pāli manomayakāya) par lequel Gautama se rendait dans les royaumes divins
- le corps de la doctrine (pāli dhammakāya), la totalité des enseignements, qui demeurent un certain temps après la mort de Gautama.
Le concept prend de l'importance dans l'école Sarvāstivādin qui reconnaît les trois corps suivants[1] :
- dharmakāya (corps du Dharma), corps supramondain (lokottara) non physique ;
- vipākakāya (corps de rétribution) ou Rūpakāya, corps physique ;
- nirmāṇakāya (corps d'émanation) par lequel Gautama Bouddha manifeste sa détermination (adhiṣṭhāna) à sauver les êtres.
Les adeptes du Theravāda refusent de tels développements mais aussi les développements ultérieurs du Mahâyâna. Selon Môhan Wijayaratna :
- Il est envisageable que cette doctrine ait été créée par les brahmanes qui se sont convertis, légèrement malgré eux, au bouddhisme, celle-ci leur ayant été particulièrement utile pour y "ranger" leurs anciennes théories théistes. De toute façon, c'est une doctrine totalement étrangère au bouddhisme originel, et dans le Canon pâli il n'y a pas la moindre allusion à un tel concept. En outre la tradition pâli a toujours rejeté l'idée que le corps du Bouddha était surhumain ou qu'il possédait un corps éternel. [2]
Les trois corps dans le Mahâyâna
On peut distinguer :
- Le dharmakāya (tib. chos sku, ch. Fǎshēn ?? ou Zìxìngshēn ???), corps de dharma, de réalité absolue : la dimension de vacuité de l'Éveil, son essence non-objectale. C'est un corps sans forme, arūpa
- Le sambhogakāya (tib. long spyod rdzogs pa'i sku, Shòuyòngshēn ???) corps de jouissance ou de félicité : C'est le premier des corps formels, enseignant aux grands bodhisattvas et les amenant à la maturation complète de leur bouddhéité[3]. Il est caractérisé par les cinq perfections. Ici jouissance réfère tout autant à la félicité inhérente à cette dimension, qu'à la jouissance des facultés éveillées, acquises comme résultat de «l'accumulation du mérite»[4].
- Le nirmānakāya (tib. sprul sku, ch. Biànhuàshēn ???), corps d'émanation ou d'apparition, incarnation ultimement illusoire se manifestant dans les différents domaines du saṃsāra par compassion pour les êtres animés.
Conjointement ces deux derniers corps sont le rūpakāya, corps formel, c'est-à-dire perceptible.
Exemples variés
Les classifications données ci-dessous ne sont vraiment que des exemples plus courants; et dépendant des lignées, et ce dans une même école, on en trouvera d'autres au gré des sources. Essentiellement, Amitābha, Vajradhara et Vajrasattva peuvent être dharmakāya ou sambhogakāya. Ici, dans l'Ati yoga, on considère généralement que Garab Dorjé (Prahévajra) est le nirmānakāya à l'origine de ces enseignements, mais selon notre source, Vajrasattva est le nirmānakāya du monde des devas, qui les a transmis à Garab Dorjé du monde humain. En retour, par sa réalisation complète de sa bouddhéité, Garab Dorjé a lui-même manifesté l'épanouissement du triple corps.
Contexte ∼> | Mahāyāna | Uttara tantra [5], [6] | Ati yoga[7] | Bīja | |
---|---|---|---|---|---|
Dharmakāya | Vairocana | Amitābha | Samantabhadri | Samantabhadra | AOM |
Sambhogakāya | Manjushri | Avalokiteshvara | Vajrayoginī | Vajradhara | AH |
Nirmānakāya | Shāntideva | Padmasambhava | Yeshe Tsogyal | Vajrasattva | HOUM |
AOM AH HOUM est le mantra du trikāya, par conséquent l'un des plus importants du mahāyāna. Ces trois syllabes sont des «bījas» c'est-à-dire les «semences», ou «syllabes-essence» condensant chacune des manifestations de l'univers dans la théorie des mantras. Autre exemple, DHI est le bīja de Manjushri, bodhisattva de sagesse.
Aspects de pratique méditative
Les trois corps sont en corrélation étroite avec les trois portes (skt. tridvara) :
La doctrine du trikāya, des trois corps du Bouddha, peut sans doute être exprimée en termes de corps, de parole et d'esprit, le nirmanakāya représentant son corps Éveillé, le sambhogakāya sa communication Éveillée, et le dharmakāya son esprit Éveillé. [8]
Évolution
L'émergence du concept de trikāya suit étroitement l'évolution de la compréhension de la bouddhéité[9]. Tout d'abord le dharmakāya reste simplement le corpus[10] des enseignements, autre sens de dharma. Avant de mourir Bouddha affirme :
- «Donc, Ananda, il vous faut désormais vivre comme des îles, en étant votre propre refuge et sans que personne d'autre ne le soit, comme si le Dharma formait une île, avec le Dharma pour seul et unique refuge. [11]»
De son vivant le bouddha Shākyamuni est doué de facultés miraculeuses qui sont toujours dans les limites du plein potentiel humain, et Gautama en est la réalisation parfaite.
Dans un second temps des divergences apparaissent :
- Les Sarvāstivādins, distinguant le rūpakāya du dharmakāya, affirment qu'on ne prend vraiment refuge qu'en ce dernier, Gautama étant inaccessible et passé en parinirvāṇa après avoir accompli sa mission.
- Pour les Mahasanghikas, Shākyamuni, pleinement éveillé, est venu sur terre afin d'enseigner; son éveil à Bodh Gaya, ses activités et sa mort ne sont qu'exemplaires [12], et par là didactiques (upāya). Suite à son vœu de bodhisattva, Shākyamuni était «rené» délibérément pour poursuivre son développement, jusqu'à la pleine bouddhéïté, par laquelle il n'a plus à mourir au sens commun.
Finalement nous arrivons aux conceptions proprement mahāyānistes, avec l'introduction des concepts de :
- tathatā, l'«être-ainsi» de la nature ultime, au-delà de l'être et du non-être;
- et de tathāgatagarbha, la «matrice des ainsi-venus», des tathāgatas, le terme par lequel Shākyamuni se désignait lui-même comme Éveillé.
En identifiant tathatā et dharmakāya, et «puisque la tathata est inhérente à l'ensemble des objets et imprègne l'univers entier, le dharmkāya devient un corps cosmique mais aussi le principe supportant tous le phénomènes. C'est pourquoi le dharmakāya est reconnu comme le Bouddha. [13]», ou plus exactement comme l'ādibuddhā ou «Bouddha essentiel».
Dès lors il devient envisageable de prendre refuge en l'Éveil même (bodhi) sous ces divers noms, mais également, autre innovation mahāyāniste, dans l'infinité des bouddhas spécifiques à travers les univers.
Autres kāyas
On rencontre à l'occasion quelques autres kāyas :
- le svābhāvikakāya (tib. ngo bo nyid kyi sku), corps de nature principale, co-émergence spontanée du triple corps.
- le mahāsukhakāya (tib. bde ba chen po'i sku), corps de grande aisance, ou bonheur, équivalent au vajrakāya, corps indélébile, litt. de diamant-foudre. (voir Vajra)
En voici un exemple de description :
- L'essence de l'esprit de l'ensemble des êtres sensibles
- Est , depuis le tout début, l'essence des Éveillés.
- C-à-d que l'essence de vacuité est le dharmakāya qui ne survient pas,
- La pure et différente luminosité est le sambhogakāya,
- La capacité multipliée et désobstruée est le nirmānakāya,
- L'indivisible unité des trois est le svabhavikakāya,
- Et leur complète immuabilité est le mahāsukhakāya[14].
Sur un plan plus spéculatif, mais d'importance dans la visualisation de mandalas,
- les quatre corps correspondent aux quatre activités des Bouddhas : pacifier, enrichir, magnétiser ou séduire, et subjuguer.
- les cinq corps correspondent aux Cinq dhyani bouddhas, eux aussi associés aux activités, augmentées d'une cinquième : accueillir ou accepter. Cette dernière classification donne alors lieu à toute une série de correspondances variées et parfois contradictoires, avec les bouddhas, bodhisattvas et parèdres ou dākinis respectifs, les éléments, les directions, les couleurs, bījas, mudrās, etc.
Principale des ces séries d'association est celle des Cinq sagesses et de leur distorsions (kleshas) correspondantes. > Pour un survol de ces correspondances voir les tableaux de Cinq dhyani bouddhas et Mani (mantra) .
Finalement on distingue toujours l'abhisambodhikāya (tib. mngon par byang chub pa'i sku), corps de complet éveil manifesté, par lequel un Bouddha peut émaner un nombre incalculable de nirmānakāyas pour le bénéfice des êtres à guider vers l'éveil, en s'adaptant à la diversité de leurs conditions dans les six destinées, ou domaines d'existence, des paradis jusqu'aux enfers.
Par ironie, Lama Surya Das a forgé le terme neurotikāya[15], corps de névrose, pour désigner la totalité des nos attitudes et émotions conflictuelles.
Certains ont voulu voir un parallèle du Trikāya à la Sainte Trinité chrétienne, Jésus, le Verbe incarné, correspondant clairement au nirmānakāya.
Notes et références
- ↑ Cfr. Philippe Cornu. Dictionnaire encylopédique du Bouddhisme. Editions du Seuil, 2001.
- ↑ Sermons du Bouddha, Môhan Wijayaratna, Points sagesse, Seuil, 2006
- ↑ Vasubandhu, MahāyānaSamgrahaBhyāsa Sūtra Cité par : Guang Xing, The Concept Of The Buddha : Its Evolution from Early Buddhism to the Trikaya Theory. Routledge Chapman & Hall, New York, 2004.256 p. / p. 177 ISBN 0-415-33344-X de
- ↑ D'où les traductions préférées par quelques-uns, dont le Dagpo Kagyu Mandala : Corps de pleine faculté, de perfection des qualités, etc. Voir aussi :Alexander Berzin et Beru Khyentse Rinpoché (en anglais)
- ↑ Sert à désigner les tantras «supérieurs» des classifications Nyingma et Sarma
- ↑ Les 2 exemples sont tirés de :
Yeshé Tsogyal, transcrit par Gyalwa Changchub et Namkhai Nyingpo. Lady of the Lotus-Born; The Life and Enlightment of Yeshe Tsogyal. Découvert par le Tertön Taksham Samten Lingpa. Avant-propos de Jigme Khyentse Rinpoche. Traduction par le «Padmakara Translation Group» du Chant de luth des Gandharvas. Shambhala Publications, Boston, 2002.254 p. / p. 1 ISBN 1-57062-544-1 - ↑ Tulku Urgyen Rinpoche (1920-1996), Rainbow Painting. Traduit par Erik Pema Kunsang et compilé par Dr Marcia Binder-Schmidt. Rangjung Yeshe Publications, Hong Kong, 2004.204 p. / p. 49 ISBN 962-7341-22-3
- ↑ Voir : Sangharakshita
- ↑ Cette section-ci résume la conclusion de la source bibliographique de la note 1.
- ↑ Envisageable traduction de kāya, que choisit Alexander Berzin
- ↑ Selon le Mahāparinibanna Suttta. >Extrait
- ↑ Ce qui ressemble à la conception hindouiste des avatars.
- ↑ Ibid. note 1, p. 181. (trad. du contributeur)
- ↑ Chökyi Nyima Rinpoché, commentant Karma Chagmé Rinpoché, The Union of Mahamudra and Dzogchen. Traduit du tibétain en anglais par Erik Pema Kunsang. Rangjung Yeshe Publications, Hong Kong, 1989.240 p. / p. 112. ISBN 962-7341-21-5 (traduction française du contributeur)
- ↑ http ://www. dzogchen. org/teachings/talks/articles/art01. htm (en anglais)
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